Les Gueules Cassées et la FDJ, une vieille histoire
Revenons sur l'histoire des jeux français. Le loto en France, c'est une longue histoire. On oublie souvent qu'à l'origine, le loto est une tombola en faveur des Gueules Cassées de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui encore l'association des Gueules Cassées qui s'appelle officiellement Union des blessés de la face et de la tête, est le second actionnaire derrière l'État. Il s'agit en fait d'une histoire passionnante qui commence avec celle de la FDJ.
L’Association des Gueules Cassées en quelques mots
Ce terme est une invention du Colonel Picot, le premier président de l'Union des blessés de la face et de la tête. Il nommait ainsi tous les soldats revenus des tranchées avec une ou plusieurs blessures invalidantes. On parle évidemment des soldats défigurés, mais aussi de tous ceux qui sont revenus brisés psychologiquement dont certains ont même été internés. À l'époque, ils sont les grands oubliés quand la France bascule dans les Années Folles. Pour ceux qui veulent découvrir cette période, le livre « Au revoir là-haut » de Pierre Lemaitre la raconte dans une fiction passionnante. Le colonel Picot et deux de ses amis fondent une association pour leur venir en aide. Le slogan de cette association qui n'a pas changé est "Sourire quand même". Aujourd'hui, l'association continue son travail avec les soldats blessés physiquement et psychologiquement, mais aussi les policiers, gendarmes et pompiers blessés durant leur travail.
La naissance de la première tombola : la dette
Devant le manque de fond et le désintérêt des pouvoirs publics, les Gueules Cassées doivent trouver des fonds. Il ne faut pas oublier que la France récupère plus de 800 000 soldats blessés à la fin de la guerre. Les besoins sont gigantesques. L'association décide de créer sa tombola.. Ce n'est pas exactement comme un loto, car le joueur achète un ticket avec un numéro prédéfini, comme le jeu jackpot de l'EuroMillions, et participe à un tirage au sort. Son nom est amusant : la dette. Pas très glamour, mais il doit rappeler aux Français la dette qu'ils ont envers les héros de la Première Guerre mondiale. Les tickets seront vendus dans les kiosques tenus par des mutilés de guerre. En 1933, l'Etat trouve que c'est une excellente idée pour garnir son budget et décide de s'emparer de l'idée. Néanmoins, les Gueules Cassées conservent les kiosques et restent donc liés et surtout associés à cette loterie.
Les Gueules Cassées crée le premier loto
Pourtant, au bout de trente ans, le concept de tombola ne marche plus et on préfère oublier la guerre et ses héros. La concurrence des nouveaux jeux à la mode comme les paris sportifs ont rendu « has been » la tombola. Clin d'œil ou ironie de l'histoire, les Gueules Cassées vont trouver une idée de l'autre côté du Rhin, chez l'ennemi allemand redevenu un ami pour une collaboration moins honteuse. Les anciens combattants allemands ont mis en place un loto à succès avec le même objectif que la tombola de leurs homologues français. La différence avec la tombola est notable. Pour le loto allemand, il est possible de choisir ses numéros. Cette possibilité d'être acteur de sa chance va séduire les Français qui vont faire du loto un monument national. L'Etat, toujours visionnaire, ne soutient pas cette idée et laisse l'association se débrouiller. Son président va jusqu'à hypothéquer sa demeure cossue pour financer le premier tirage qui aura lieu le 1er mai 1976. Le succès sans précédent de ce loto a conduit l'Etat à créer une société mixte où il est bien évidemment majoritaire avec 51% des parts. Quelques années plus tard, les parts de l'Etat passent à 88%. Les Gueules Cassées n'ont pas vraiment le choix, mais elles ont le « sourire quand même ». En restant actionnaires, elles préservent des dividendes conséquents et profitent d'un monopole qui va perdurer jusqu'à 2010.
Vers la privatisation
L'État a décidé de vendre une partie des parts et ainsi de privatiser la Française des Jeux considérées par beaucoup d'observateurs comme une poule aux œufs d'or. On se rappelle du fiasco de la revente des autoroutes françaises et il rappelle étrangement cette décision de vendre 20% des parts de la FDJ.. Et bien avec 3,2 milliards de recettes pour l'Etat, on se demande bien l'intérêt de privatiser une entreprise qui fonctionne. On peut dire que les Gueules Cassées sont inquiets et se demandent à quelle sauce ils vont se faire manger. L'histoire montre qu'à chaque recapitalisation, l'association est perdante.
L'Etat a beau rassurer qu'il ne vendra que ses parts et pas en intégralité, on peut se demander ce qu'il en sera dans l'avenir et comment l'association pourra faire face à l'agressivité de certains fonds d'investissement. En jouant à une loterie étrangère peut-être?